26/05/2025 10 articles basta.media  11min #279170

Loi Duplomb : toujours plus de pesticides, de mégabassines et d'élevages intensifs

Laurent Duplomb est le sénateur LR qui porte la proposition de loi Entraves. Il a été président FNSEA de la chambre d'agriculture de Haute-Loire.
Wikimedia commons

Une nouvelle loi sur l'agriculture est discutée à l'Assemblée nationale à partir de ce 26 mai. La  proposition de loi Duplomb - du nom de Laurent Duplomb, sénateur LR de Haute-Loire, ancien représentant du syndicat agricole FNSEA et de groupes de l'agrobusiness - vise à « lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur ». De fait, elle est fortement inspirée des mesures portées par le syndicat agricole majoritaire et constitue une grave régression en matière de protection de l'environnement et de la santé humaine.

Nous avons ainsi comparé la série de mesures portées par la FNSEA et la proposition de loi adoptée au Sénat. Les copié-collé sont nombreux. Le patron de la FNSEA lui-même, Arnaud Rousseau,  se disait début mai pleinement satisfait par le texte qui, selon, lui, « corrige ce qui grippe la machine agricole française ». Au menu de la loi : la réintroduction de pesticides interdits, la possibilité d'épandre ces produits toxiques par drones, l'allègement des normes pour faciliter l'élevage industriel, ou bien encore davantage de facilités pour construire des mégabassines,  projets de retenues d'eau faits spécialement pour les gros agriculteurs et très controversés.

Les associations environnementales, des scientifiques et une partie du monde agricole comme la Confédération paysanne dénoncent, à l'inverse, une loi de dérégulation brutale. Elle affaiblirait les normes environnementales sous couvert de compétitivité. « Cette proposition de loi menace notre souveraineté alimentaire, notre environnement et notre santé », estime le Collectif Nourrir qui rassemble une cinquantaine d'organisations. Plus de 130 000 personnes ont, via  la plateforme Shake ton politique, interpellé les parlementaires pour qu'ils et elles rejettent la loi. Les aspects les plus problématiques du texte ont pour le moment été édulcorés lors de son passage devant la commission développement durable de l'Assemblée nationale, provoquant l'ire de la FNSEA. Voici un décryptage des points les plus sensibles.

Réautoriser les pesticides interdits

La FNSEA réclame qu'on ne puisse plus interdire de pesticides « sans solutions apportées aux agriculteurs ». L'article 2 de la proposition de loi Duplomb prévoit précisément la ré-autorisation pour trois ans, sous condition, des néonicotinoïdes,  ces pesticides particulièrement toxiques, et « tueurs d'abeilles ». Ils avaient été interdits par la loi en 2018, puis avaient fait l'objet de dérogations,  avant que la Cour de justice européenne ne vienne rappeler la France à l'ordre en janvier 2023.

L'article 2 du texte prévoit aussi  l'autorisation des épandages de pesticides par drone reprenant là encore une demande de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs (JA). « Comment imaginer que l'agriculture française puisse être compétitive si nous sacrifions ces éléments fondamentaux que sont la santé des agriculteurs et la fertilité des sols ? » réagit Astrid Bouchedor, responsable du plaidoyer de Terre de Liens, une association qui aide de futurs paysans à s'installer.

Le retour du très toxique acétamipride

Le sénateur Laurent Duplomb propose aussi de ré-autoriser le très toxique acétamipride, un néonicotinoïde encore autorisé en Turquie, en Italie ou en Espagne, notamment dans la production de noisettes. Le chercheur Philippe Grandcolas  témoigne de son inquiétude auprès du média Reporterre : « L'acétamipride est tellement toxique qu'il tue également des insectes très utiles à la biodiversité ». Pour ce spécialiste des insectes, c'est un cercle vicieux pour l'agriculture : « Si on tue des pollinisateurs dans nos vergers de noisettes, les cultures de colza qui sont à proximité, par exemple, ne seront pas pollinisées et on sait que, dans le cas du colza, on aura 30 % de rendement en moins, ce qui va engendrer d'autres problèmes. Il faut avoir un regard global sur notre agriculture. » Le scientifique préconise d'autres voies comme la polyculture afin de favoriser la présence d'autres insectes qui limitent la présence des ravageurs, ou des pièges à phéromones en vue d'attirer et contenir les punaises hors des vergers.

Si l'Assemblée nationale autorise de nouveau l'acétamipride, ce sera « une décision politique totalement infondée scientifiquement », estime Pauline Cervan, toxicologue chez Générations Futures, à l'initiative d'un rapport sur l'évaluation « défaillante » de cette substance.

Alléger les normes pour les élevages industriels

Faciliter l'installation en élevage... et leur agrandissement, parfois démesuré. C'est tout l'objet de l'article 3 de la loi Duplomb. Les plus grandes fermes d'élevage sont actuellement soumises à des normes - installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) - qui impliquent études d'impact et autorisations administratives. Pour élever des volailles par exemple, il fallait jusqu'ici demander une autorisation à partir de 40 000 poulets. Avec la loi Duplomb, ce seuil est relevé à 85 000, soit plus du double. Même cas de figure pour l'élevage de porcs dont le seuil passerait de 2000 à 3000 emplacements. Les élevages bovins se voient même exonérés de toute procédure, comme le demandaient la FNSEA et les JA. Les  méga-fermes controversées auront le champ libre.

Ces dispositions « ouvrent les vannes aux élevages industriels »  déplorent plusieurs associations dont Greenpeace, la Fondation pour la nature et l'Homme (FNH), ou le Réseau Action Climat. Actuellement, moins de 2% des exploitations d'élevage relèvent du régime d'autorisation, selon la Cour des comptes. Ce dispositif aiderait donc surtout les plus grandes exploitations à devenir plus grandes encore. Il compromet aussi la transmission des exploitations en raison des investissements considérables qu'elle implique.

La FNSEA demandait aussi « d'en finir avec l'obligation de réunions publiques ». Or, l'article 3 affaiblit les procédures de consultation publique pour les ICPE d'élevage (bovins, porcs, volailles). « Si l'article est adopté, cette consultation sera remplacée par une simple permanence en mairie, explique Sandy Olivar Calvo de Greenpeace. Cela réduit la démocratie environnementale et ne répond en rien à la problématique des conflits locaux. »

Faciliter la construction des retenues d'eau, mégabassines comprises

Les gros projets de stockage d' eau constituent également une revendication de l'agrobusiness, pour qu'elles soient reconnus d'intérêt public majeur. La proposition de loi Duplomb initiale le prévoyait, faisant craindre aux opposants la généralisation des mégabassines. L'article 5 de la loi entendait aussi lever certains aspects réglementaires sur les zones humides pour faciliter les prélèvements d'eau. « L'article a été supprimé en commission du développement durable, rappelle Léo Tyburce de WWF France, mais les risques sont réels qu'il soit réintroduit en séance publique. »

La Coopération agricole - qui regroupe les grandes entreprises du secteur - pousse à la réintroduction de cet article 5. « Il ne s'agit pas d'accaparer la ressource en eau mais d'organiser les conditions du partage en considérant les activités agricoles à leur juste place : essentielle », assure l'organisation. En commission développement durable, les groupes insoumis et écologiste ont aussi fait adopter un moratoire de dix ans sur la délivrance des autorisations pour la construction de méga-bassines. Le gouvernement a préparé des amendements pour supprimer ces moratoires, lors de l'examen en séance publique. Et a également déposé un amendement qui vise à lever l'objectif « zéro phyto » - ne pas épandre de pesticides - autour des points sensibles de captage d'eau...

Les défenseurs de l'environnement mobilisés face à un monde agricole divisé

La FNSEA et les JA annoncent une mobilisation massive à compter du 26 mai « afin de faire retrouver le bon sens aux députés » qui, lors de la commission qui a examiné le projet de loi, ont censuré « une grande partie du texte adopté au Sénat », et tenté de limiter les reculs. Ces derniers jours, plusieurs députés opposées à ces régressions environnementales ont vu leurs permanences ciblées. C'est le cas du député insoumis Sylvain Carrère, à Frontignan, dans l'Hérault, dont  le local a été tagué le 16 mai : « Loi Duplomb sinon... boom ». La Coordination rurale, qui soutient également le texte initial,  a également visé la permanence du député Sacha Houlié (non inscrit) à Poitiers le 21 mai, considérant qu'une « partie des députés ont massacré le texte en commission développement durable de l'Assemblée nationale ».

« Il est faux de dire que cette proposition de loi répond aux attentes du « monde agricole », estime de son côté la Confédération paysanne. « Il est au service d'un système agro-industriel qui est déjà responsable de la disparition de centaines de milliers de paysan·nes et de fermes en France. Si elle est adoptée, elle constituera une atteinte très grave à l'agriculture paysanne, celle qui relocalise, installe, respecte les sols et préserve la ressource en eau et rend possible la souveraineté alimentaire. Pour lever réellement les ''entraves'' au métier, il faut enfin mettre en place les outils qui permettent de garantir un revenu agricole et de stopper l'accaparement du foncier agricole. »

Des mobilisations citoyennes sont aussi prévues. « Il est incompréhensible de voir aujourdʼhui les députés débattre dʼun texte qui met en péril notre capacité à produire demain et à assurer un environnement et une alimentation saine pour tout le monde. Alors que les agriculteurs et les citoyens appellent de leurs vœux à une transition de notre système agricole et alimentaire, cette loi est à contre-courant de lʼhistoire, des réalités scientifiques et des attentes de la société » souligne Mathieu Courgeau, éleveur et co-président du Collectif Nourrir.

Le vote d'une motion de rejet pour court-circuiter l'Assemblée nationale ?

Les députés écologistes et insoumis ont déposé plusieurs centaines d'amendements en vue de l'examen en séance publique. Craignant un enlisement des débats, les partisans de ce texte s'apprêtent à défendre une motion de rejet préalable, qui coupe court aux discussions dans l'hémicycle. Portée par le député LR Julien Dive, la motion est soutenue par le MoDem et Ensemble pour la République (macroniste). Elles pourraient aussi recueillir les voix du Rassemblement national,  parti favorable aux pesticides. « Si les syndicats le demandent et font un peu de pédagogie dans les circonscriptions, on pourra voter cette motion de rejet »,  confirme un cadre du groupe RN auprès du journal Le Monde.

« C'est un texte d'inspiration trumpiste auquel s'ajoutent maintenant des méthodes trumpistes contraires à la démocratie. Cette motion, c'est un détournement de la procédure. Si le gouvernement veut couper court au débat et imposer sa décision à l'Assemblée, il a d'autres outils pour le faire, comme le 49.3 ou l'article 44 »,  dénonce auprès du HuffPost la députée Génération Ecologie, Delphine Batho, tout en défendant un nombre d'amendements « normal » pour ce type de texte.

Pour l'ONG Générations futures, « l'unique but de cette manœuvre est de faire passer en force, sans débat démocratique en séance, les dispositions ignobles de cette proposition de loi. » Cette stratégie permettrait en effet de renvoyer directement le texte, dans sa version issue du Sénat, en commission mixte paritaire (CMP). Dans le huis clos de cette commission, sept députés et sept sénateurs seraient chargés de trouver un consensus. Une option qui serait défavorable à l'opposition, vu la majorité sénatoriale à droite.

Le texte serait ensuite de nouveau soumis au vote des deux chambres, mais sans possibilité d'amendements sauf accord du gouvernement. Greenpeace alerte sur « le passage en force d'une loi rétrograde » quand Arnaud Rousseau, patron de la FNSEA, somme les parlementaires : « L'agriculture française a besoin de puissance, pas de prudence ».

Boîte noire 

Décryptage de la loi écrit par Sophie Chapelle, vidéo réalisée par Lisa Damiano.

 Sophie Chapelle
 Lisa Damiano

 basta.media

Articles enfants plus récents en premier
18/07/2025 francesoir.fr  3min #284582

 Loi Duplomb : toujours plus de pesticides, de mégabassines et d'élevages intensifs

Une ingénieure agronome pulvérise les mensonges d'Attal sur la loi Duplomb : 4 affirmations fausses exposées

France-Soir

AFP

Dans une vidéo taquine et quelque peu acerbe, Elise Bordet, ingénieure agronome et ancienne directrice de stratégie et innovation chez Sequens, un leader mondial des molécules actives pharmaceutiques, utilise son expertise pour contester les justifications d'Attal sur Instagram, où il affirmait ne jamais voter une loi qu'il considérerait dangereuse pour les Français.

18/07/2025 francais.rt.com  3min #284542

 Loi Duplomb : toujours plus de pesticides, de mégabassines et d'élevages intensifs

La réponse cinglante des salons agricoles à Sandrine Rousseau

© Getty Images

Sandrine Rousseau à l'Assemblée nationale

Sandrine Rousseau a indigné les agriculteurs en déclarant « n'en avoir rien à péter de leur rentabilité » à propos de la loi Duplomb. Les salons agricoles dénoncent son mépris, défendant la valeur de leur métier. L'élue écologiste se défend en visant le modèle agro-industriel, mais la colère persiste.

31/05/2025 legrandsoir.info  4min #279732

 Loi Duplomb : toujours plus de pesticides, de mégabassines et d'élevages intensifs

Loi Duplomb : le retour des pesticides toxiques et le déni de démocratie parlementaire

Yves GUÉCHI

Alors que la crise agricole exige des réponses ambitieuses et durables, le gouvernement a choisi la fuite en avant : en tentant de réintroduire des pesticides dangereux à travers la loi Duplomb, puis en bloquant tout débat parlementaire sur le sujet, l'exécutif cède aux pressions de l'agrobusiness. Ce choix soulève de vives inquiétudes pour la santé publique, la biodiversité, et le respect du processus démocratique.